CINÉTISMES
NUMÉROS THÉMATIQUES
CHOIX DE LANGUES, LANGUES CHOISIES PLAIDOYER EN FAVEUR D’UN DÉVELOPPEMENT DURABLE DES LANGUES NATIONALES
De Dard (1826) à Creissels (2017), en passant par Hardy (1917), Cornevin (1967), Tabi Manga (cité dans Dumont,1992), Cheikh Anta Diop (2009), Tadadjeu & sq. (2004 ; 1984) ; Diki-Kidiri (2004), Assoumou (2010) ou Diakhaté (2013), le problème de choix de langue ou de langue choisie dans une sphère qui parle majoritairement une autre continue d’alimenter les débats dans les amphithéâtres et l’espace public, dans de nombreux pays africains. La problématique s’est davantage complexifiée avec l’avènement de l’idée d’émergence. Les points de vue et faits historiques prouvent clairement qu’une langue véhicule des faits culturels, aide à mieux comprendre le monde, mais aussi elle peut assimiler… Les rôles qu’ont joués l’école et la langue française dans la colonisation le montrent à suffisance.
La fonction que Georges Hardy (1917, pp. 6-7) a attribuée à l’école française de l’A.O.F par exemple est très claire : « Pour transformer les peuples primitifs de nos colonies, pour les rendre le plus possible dévoués à notre cause et utiles à nos entreprises, nous n’avons à notre disposition qu’un nombre très limité de moyens, et le moyen le plus sûr, c’est de prendre l’indigène dès l’enfance, d’obtenir de lui qu’il nous fréquente assidûment et qu’il subisse nos habitudes intellectuelles et morales pendant plusieurs années de suite ; en un mot, de lui ouvrir des écoles où son esprit se forme à nos intentions ». Après les indépendances des États africains, les langues des anciens colonisateurs – pour de nombreux pays – sont devenues langues officielles ou co-officielles devant une multitude de langues africaines, pourtant véhiculaires. Dans ce cadre, Denis Creissels (2017, p.1), parlant de la situation des langues de l’Afrique face aux langues de l’ancien colonisateur, souligne : « En dehors de la Mauritanie (dont la langue officielle est l’arabe), aucun pays ouest-africain n’a accordé le statut de langue officielle à une langue autre que celle de l’ancienne puissance coloniale. […] La plupart des pays ouest-africains reconnaissent une partie de leurs langues comme “langues nationales”, mais ce terme ne correspond à aucun statut juridique précis ».
Le combat pour la promotion de ces langues est encore un sujet très débattu, plus d’un demi- siècle après. Les langues africaines peinent dans leur combat pour être reconnues comme langues officielles et se contentent d’être « nationales », sans que ce statut leur permette d’être des langues pouvant jouer de véritables rôles institutionnels, diplomatiques et économiques. Les idées rattachant l’émergence des nations africaines à une utilisation efficiente de leurs langues nationales ne datent pas d’aujourd’hui. Elles ont été défendues et continuent de l’être par de nombreux nationalistes africains selon qui, sans une bonne place accordée aux langues nationales, il n’y aurait point de développement total pour une nation. Cheikh Anta Diop (2009, p. 405) fait partie des premiers à évoquer cette nécessité à promouvoir les langues nationales de l’Afrique lorsqu’il soutient : « Il est plus efficace de développer une langue nationale que de cultiver artificiellement une langue étrangère ». Dans le contexte d’enseignement/apprentissage, certains pédagogues se sont rendu compte de la nécessité de passer par les langues nationales.
C’est d’ailleurs dans ce cadre où il est question de l’importance de la langue maternelle de l’enfant dans ses enseignements/apprentissages que nous insérons l’intervention de Jean Tabi-Manga (cité par Dumont, 1992, p.133) qui souligne : « En Afrique, les instances dirigeantes semblent oublier que c’est bien la langue maternelle qui permet le véritable décollage intellectuel de l’enfant. C’est elle qui lui donne la possibilité d’articuler sa pensée, de saisir son rapport au monde. Lui refuser de tirer profit de l’acquis du substrat linguistique dans l’apprentissage du français, c’est lui ôter les moyens de répondre au besoin d’expression et de créativité. C’est pourquoi l’enseignement du français doit s’appuyer sur les langues africaines ». C’est dans ce contexte marqué par des défis liés au vivre-ensemble, à l’économie et à la gouvernance des collectivités territoriales décentralisées, que l’Afrique fait face aujourd’hui aux enjeux du phénomène didactico-pédagogique des langues nationales et des langues officielles. Ainsi, plusieurs langues étrangères, notamment indo-européennes, se partagent l’horizon linguistique africain aux côtés d’une pluralité de langues africaines, négligées, pour ces dernières par le système éducatif.
On assiste donc aujourd’hui, dans les institutions scolaires africaines en général, à un emploi presque absolu et intensif des langues occidentales. Cette conjoncture pourrait mener à la disparition totale de la richesse linguistique africaine, si rien n’est fait pour sa préservation. En effet, les langues étrangères à l’instar de l’anglais, du français, du portugais ou de l’arabe… excellent de façon presque absolue dans nombre d’établissements scolaires africains. Alors que dans le même temps, les apprenants se vivent dans d’autres langues nationales, celles de leurs cultures et de leur environnement, sans conflits avec celle de leur scolarisation.
Ces situations didactico-pédagogiques multilingues méritent d’être reconsidérées si tant est que nos langues nationales ne soient pas des «patois» et pourraient même assez bien compléter l’enseignement/apprentissage des langues officielles, notamment le français et l’anglais dans la plupart des cas. En quoi consisterait alors la nouvelle didactique des langues nationales et/ou officielles en contexte ? Quelles peuvent être les méthodologies et approches reproductibles en situation didactico- pédagogiquepour une meilleure exploitation économique? Comment rendre plus efficace l’enseignement des langues nationales et étrangères en contexte africain? Telles sont quelques problématiques que soulève cette collection.
Cinétismes, en tant que revue scientifique pluridisciplinaire et internationale qui promeut un regard transversal sur les phénomènes du langage (signe, texte, langue, mémoire), se propose de servir de foyer de recherches scientifiques et de réflexions entre professionnels des langues, tel qu’elles sont enseignées, utilisées et valorisées en Afrique, ceci avec des partages d’expériences en la matière. L’une des particularités de ce numéro est donc d’examiner et de passer en revue les pratiques didactico- pédagogiques des langues nationales et officielles dans l’optique d’améliorer ces pratiques, de rapporter des expériences et d’ouvrir des perspectives économiques en direction du marché des langues.
Le contenu de ce volume 1 est organisé provisoirement autour des axes suivants :
- Axe 1 : Dynamique des langues nationales/officielles
- Axe 2 : Retour d’expériences didactiques et pédagogiques en milieux plurilingue et interculturel
- Axe 3 : Langues dans l’économie et au travail
Les contributions à ce numéro de la revue Cinétismes sont bien circonscrites sans être limitatives. Ainsi, plusieurs thèmes de réflexion feront l’objet de cette collection :
- La description du paysage linguistique en milieux bi/pluri/multilingue africain ;
- L’alphabétisation des langues africaines et les problèmes de l’enseignement/apprentissage ;
- Les langues nationales en contexte d’enseignement/apprentissage des langues officielles ;
- La problématique du choix de langues nationales au statut de langues officielles dans un contexte multilingue ;
- Le niveau de codification des langues locales minoritaires aujourd’hui (doit-on toutes les codifier ?) ;
- Les enjeux de la codification linguistique des langues nationales ;
- Les langues nationales/officielles dans les systèmes scolaires africains ;
- La sensibilisation et la préservation des langues nationales ;
- L’éducation aux langues en milieux bi/plurilingues et multilingues ;
- La planification linguistique et acquisition ;
- Efficience des politiques linguistiques et didactiques ;
- La formation des formateurs ;
- Les retours d’expérience didactico-pédagogiques en matière de promotion des langues nationales/officielles/minoritaires/minorées ;
- Les méthodes/approches d’enseignement des langues en Afrique ;
- Les manuels d’enseignement des langues nationales et officielles en Afrique ;
- La didactique des langues nationales et officielles en contexte africain ;
- La représentation des langues nationales et les perspectives didactiques ;
- Enjeux de l’évaluation linguistique en didactique des langues ;
- Efficacité des politiques linguistiques dans l’économie ;
- Le rôle des langues dans l’activité économique (quantification de l’effet sur les variables linguistique et économique, sur les compétences linguistiques et sur les pratiques) ;
- Valeurs ajoutées du plurilinguisme ou du multilinguisme au niveau de la formation et de l’expérience professionnelles, etc.
- ASSOUMOU, J., (2010), Enseignement oral des langues et cultures africaines. Yaoundé, Éditions CLE. BROUSSEAU, G., (1998), Théorie des situations didactiques, Grenoble : La Pensée sauvage.
- CHAMPION, J. (1974). Les langues africaines et la francophonie. Essai d’une pédagogie du français en Afrique noire par une analyse typologique des fautes. Ed Mouton, Paris, La Haye. CORNEVIN, R. (1967/194/197). L’œuvre de Bourguignons (Les Javouhey et Jean Dard) au Sénégal et à la Réunion in Outre-Mers.revue d’histoire, pp227-246.
- CREISSELS, D. (2017). Présentation de quelques langues ouest-africaines appartenant aux familles mandé (bambara/malinké, sooso, soninké) et atlantique (peul, wolof), Conférence du CASNAV, mieux connaître les langues subsahariennes, Université Lumière Lyon 2.
- CUQ, J-P. (2003), Dictionnaire de didactique du Français. Langue étrangère et seconde, Paris, Clé International.
- DAFF, M. (1998). « L’aménagement linguistique et didactique de la coexistence du français et les langues nationales au Sénégal ». DivesCité Langues. En ligne. V ol.III. Disponible à http://www.uquebec.ca/diverscite
- DARD, J. (1826). Grammaire wolofe : ou méthode pour étudier la langue des noirs qui habitent les royaumes de Bouba-Yolof, de Walo, de Damel, de Bour-Sine, de Saloume, de Baole, en Sénégambie ; suivie d’un appendice. 213p, Paris : Imprimerie royale.
- DIAKHATÉ, A. (2013). La formation des enseignants au Sénégal : des écoles normales aux Centres Régionaux de Formation des Personnels de l’Éducation (CRFPE), état des lieux et perspectives de rénovation, Academia, vol.3, no1,
- DIALLO, S. (2019). « La problématique de la promotion des langues nationales sénégalaises au statut de langues officielles in ABUD of Journal of Humanities, Department of french, ABU, Zaria, Nigeria, vol.2, No 8, pp. 24-48
- DIKI-KIDIRI, M. (2004). « Multilinguisme et politique linguistique en Afrique ».Langage, langues et cultures d’Afrique noire. Université Paris7-Denis Diderot: France`consultable sur http://www.francophonie-durable.org/documents/collogue-ouaga-al- dikikidiri.pdf#seach=%22Marcel%20Diki-Kidiri%2C%20Typologie%22
- DIOP, C. A. (2009), Nations nègres et cultures, Présence africaine, 4e édition.
- DUMONT, P. (1992). La francophonie par les textes. EDICEF/AUPELF. p 133
- HARDY, G. (1917/2005). Une conquête morale, L’Harmattan.
- HOLTZER, G. (1998), La notion de stratégie d’apprentissage en didactique des langues : premières occurrences dans les discours français, Bulag, n° 24, Besançon, Université de Franche-Comté.
- TADADJEU, M., Sadembouo E., Mba G. (2004), Pédagogie des langues maternelles africaines, Yaoundé, CLA.
- TADADJEU, M. (1984), « Pour une politique d’intégration linguistique camerounaise : le trilinguisme extensif », Quelle identité culturelle pour le Cameroun et l’Afrique de demain ? Yaoundé, APEC.
- WAMBACH M., (2001). Méthodologie des langues en milieu multilingue, La pédagogie convergente à l’école fondamentale. Belgique, Ciaver.
- Lancement de l’appel : 10 février 2023
- Date limite de soumission des articles : 1er août 2023
- Notification d’acceptation aux auteurs : 1er août 2023
- Date limite de réception des articles corrigés : 20 août 2023
- Parution du dossier : 05 septembre 2023
Au plus tard le 1er août 2023, les articles sont à soumettre en ligne à:
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